Résolution FIN/3/10.2023
Titre: Double imposition des pensions françaises de source privée
Vu
La convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République italienne en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales signée à Venise le 5 octobre 1989, approuvée par la loi n° 90-456 du 1er juin 1990, entrée en vigueur le 1er mai 1992 et publiée par le décret n° 92-422 du 4 mai 1992 (JO du 8 mai 1992) (Rectificatif au JO du 27 février 1993)
Considérant
- Que l’Italie applique depuis 2021 et de manière rétroactive une double imposition totale au lieu d’une double imposition résiduelle prenant en compte un crédit d’impôt du montant de l’impôt en France
- Que les retraités concernés avaient une information erronée sur le site de l’ambassade, et n’étaient donc pas au courant de ces obligations
- La rétroactivité des sanctions et impositions italiennes depuis 2015,
- L’ampleur des pénalités financières et intérêts;
- L’application inégale en Italie liée à la régionalisation du traitement de l’impôt
- Les différences d’interprétation de l’annexe BOI-ANNX-000341
Demande
- Que le gouvernement français exige en urgence des autorités italiennes qu’elles annulent les sanctions et pénalités et déduisent les impôts payés en France des sommes demandées, en application de la jurisprudence italienne en la matière et conformément à la convention fiscale bilatérale
- La renégociation en vue de l’adoption d’un avenant modifiant l’article 18.2 permettant une imposition française exclusive
- Le rétablissement d’un conseiller fiscal à Rome
RAPPORT :
Des problèmes de double imposition ont été remontés par les Conseillers des Français de l’Etranger (CFdE) dans le cadre de la consultation de la Commission des finances, du budget et de la fiscalité lancée par Cécilia Gondard (mars 2023). C’est pourquoi la commission des finances, du Budget et de la fiscalité, sous la présidence de Renaud Leberre, a décidé d’approfondir ses travaux (octobre 2023) sur la convention fiscale bilatérale franco-italienne, à travers une série d’auditions. En effet, une convention en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune a été signée à Venise le 5 octobre 1989 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République italienne[1]. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 1992. La renégociation de la convention franco-italienne n’est pas à l’ordre du jour de la Mission des conventions et de l’entraide judiciaire du MEAE.
Remerciements : La rapporteure remercie tous les élus et concitoyens qui ont participé aux remontées de terrain qui ont alimenté ce rapport, en particulier les membres de l’AFE qui ont répondu au questionnaire : Marie-Ange Amico (Italie) ; Annie Rea (Italie), Peggy Hoffmann (Italie), Olivier Spiesser (Italie), Alexandre Bezardin (Italie), Gaëlle Barré (Italie), et l’intervention de Carole de Blesson (Italie) en commission. Nous remercions Jean-Claude CHARLES, Collectif des retraités français d’Italie pour une équité fiscale européenne, pour son audition par la commission.
Double imposition des fonctionnaires et recrutés locaux, notamment les professeurs des établissements AEFE de Rome et Naples
En 2019, les recrutés locaux, qui ont toujours payé leurs impôts dans leur pays de résidence, bien que n’en ayant pas la nationalité, se sont vu, sans modification préalable de la convention fiscale bilatérale, imposés en France. Le cas de ces recrutés locaux des Instituts français, des consulats et des Lycées Français a fait l’objet d’une question écrite à l’Assemblée des Français de l’étranger le 21 juin 2018, restée sans réponse depuis, ainsi que d’un avis de la Commission des Finances, du budget et de la fiscalité de cette assemblée (FIN/R.3/5.10)[2]. En mars 2019, la Présidente de Commission des Finances, du Budget et de la fiscalité, Cécilia Gondard et la conseillère des Français de l’étranger pour la circonscription de Rome, Gaëlle Barré ont sollicité Gérald Darmanin, Ministre de l’Action et des Comptes publics, afin de l’interpeller sur le sort de ces contribuables[3]. Selon la DINR, l’imposition des recrutés locaux, en général, est rattachée à la doctrine fiscale qui relève de la compétence de la Direction de la législation fiscale (DLF), qui devait donner la doctrine relative aux recrutés locaux. Ces travaux devaient apporter les précisions attendues avec la clarification de la doctrine fiscale portant sur l’application des clauses des conventions fiscales bilatérales relatives aux « recrutés locaux » et la définition du « recruté local » et de l’employeur » auprès desquels les employés peuvent se prévaloir des dispositions des conventions fiscales relatives aux « recrutés locaux » en tant que personne percevant des traitements, salaires et rémunérations versés par l’Etat français ou une personne morale de droit public.
- Double imposition des pensions et retraites
Concernant les pensions de retraite, la convention précise le droit d’imposition de chaque pays et indique les mécanismes en vue d’éviter la double imposition fiscale avec notamment une distinction entre les pensions issues d’un emploi dans le secteur privé et dans le secteur public. Ce sont les articles 18 et 19 de la convention qui fixent la répartition du droit d’imposition entre État source et État de résidence pour les pensions de retraites. Jusqu’en 2021, les Français résidant en Italie et percevant une pension relevant d’un régime obligatoire de Sécurité sociale étaient imposables en France. En vertu de l’article 18 de cette convention, les pensions de retraite payées en application de la législation sur la sécurité sociale ne sont imposables que dans le pays qui les verse.
Compte tenu de difficultés apparues pour l’application de cet article 18, un échange de lettres en date du 20 décembre 2000 avait arrêté une position commune, actant que pour la France, cela recouvrait toutes les pensions dites publiques, issues de droits acquis dans le cadre des régimes de base de la sécurité sociale, des régimes complémentaires à caractère obligatoire, du régime de l’assurance volontaire du régime général de la sécurité sociale destiné à permettre le maintien des salariés expatriés à un régime de sécurité sociale et des régimes de retraite complémentaires conclus dans le cadre de l’entreprise ou de la branche professionnelle, auxquels le salarié est tenu d’adhérer, l’ensemble des régimes concernés étant listé dans une annexe.
Changement d’interprétation:
Selon le BOFIP (BOI-INT-CVB-ITA-10-20-20130909), lorsqu’un résident d’un État reçoit des revenus qui proviennent de l’autre État où ils sont imposables conformément aux dispositions de la convention, l’État de la résidence du bénéficiaire des revenus a en principe, selon les dispositions de la convention, le droit de les imposer en second. Font exception à cette règle les pensions publiques de source française qui selon les dispositions de l’article 19 de la convention sont exclusivement imposables en France.
- Depuis 2021 uniquement, l’Italie applique une double imposition, de manière rétroactive, avec des pénalités financières liées au redressement pluriannuel. Elle est fondée à appliquer une “imposition non exclusive”, c’est-à-dire’une double imposition mais résiduelle ou différentielle (imposition d’un revenu déjà imposé en France, en appliquant la différence entre l’imposition italienne et l’impôt déjà consentie en France), justifiée par l’art 18 paragraphe 2. Si la double imposition est en théorie différentielle, l’Italie ne déduit pas les impôts payés en France dans la pratique, sauf procédure contentieuse.
- Pour les autorités fiscales françaises, l’article 18 (« Pensions ») prévoit que «les pensions et autres sommes payées en application de la législation sur la sécurité sociale d’un État sont imposables dans cet État». Il résulte de cette formulation, selon la Direction des impôts des non-résidents (DINR), que la France et l’Italie sont toutes deux fondées à imposer ces pensions de sécurité sociale, à charge pour l’État de résidence d’éliminer la double imposition pouvant en résulter. Une imposition exclusive impliquerait la formulation « ne sont imposables que dans cet État ». Dans la situation décrite, ces résidents italiens percevant des retraites de source française sont également imposables en Italie. Toutefois, cet État est tenu de leur accorder un crédit d’impôt équivalent à l’impôt français afin d’éliminer la double imposition.
Rétroactivité : L’italie à procédé à des redressements fiscaux rétroactifs, sur plusieurs années à partir de 2015.
Sanctions : Les redressements, sanctions (pénalités financières) et intérêts sont jugées insoutenables par des CFdE – des sommes de 15 000 euros sont évoquées sur une seule année pour des salaires d’enseignants. Des avocats ont obtenu en Italie l’annulation des pénalités mais pas de l’imposition.
Régionalisation : Le traitement de l’impôt n’est pas uniforme selon les centres d’impôt régionaux.
Obligations de déclaration: les retraités français doivent déclarer à l’IRPEF les retraites perçues des organismes de sécurité sociale et les organismes de retraite complémentaire. De même, les retraités italiens sont tenus de déclarer en France, mais ces derniers ne paient pas d’impôt sur le revenu en France étant donné que l’IRPEF en Italie est 10 fois environ supérieure, y compris les sanctions et intérêts de retards[4].
La nouvelle interprétation de l’annexe BOI-ANNX-000341 : Cette dernière liste les régimes de retraites reconnus à des fins fiscales (échange de lettres du 20 décembre 2000 entre la France et l’Italie) et créé de nouvelles dénominations de caisses[5]. Cette liste «Régime général de sécurité sociale» est évoquée comme problématique par plusieurs CFdE[6]. Elle n’aurait pas été mise à jour et ne tiendrait donc pas compte de la fusion AGIRC-ARRCO de 2019. La DINR considère en revanche que “la liste annexée au Bulletin officiel des finances publiques (BOI-ANNX-000341) n’a, à ce jour, donné lieu à aucune difficulté d’application particulière”[7].
Enfin, la méconnaissance et ou la complexité de la déclaration des revenus provenant de France, à déclarer auprès des autorités fiscales italiennes (Agenzia delle Entrate), est évoquée par des CFdE. Les fonctionnaires italiens qui doivent instruire les dossiers sont, pour la plupart, à l’obscur de cette convention bilatérale entre la France et l’Italie. Nos compatriotes sont complètement déboussolés par rapport à leur déclaration de revenus quant aux démarches à entreprendre auprès de l’Agenzia delle Entrate italienne.
- Actions et recommendations
L’ancien Ministre des Finances Dussopt (17 décembre 2021) avait rencontré son homologue à Rome, aucun retour n’à été fait aux élus. Le Ministre du budget, G. Attal, à été saisi à travers la question écrite de Mr. Alexandre Bezardin (juillet 2022), qui détaille des exemples concrets de taux d’imposition[8], et de Monsieur Le Gleut, au Sénat. Le Député Meyer Habib a saisi à plusieurs reprises Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, ainsi que son prédécesseur Olivier Dussopt pour les alerter sur l’urgence d’une intervention auprès de leurs homologues italiens. De même, la sénatrice Évelyne Renaud-Garabedian est également intervenue sur cette problématique. Plus récemment, la conseillère des Français de l’étranger Annie Réa à demandé un moratoire sur les pensions 2015-2021, demande adressée à l’oral au gouvernement lors de la session de Mars 2022 de l’AFE à la suite de la réponse ministérielle à sa question orale concernant les conventions bilatérales[9]. Les conseillers ont alerté et saisi à maintes reprises les autorités sur ce sujet des redressements des retraités français et des personnels employés dans des établissements publics français basés en Italie. L’ambassade avait par ailleurs publié sur un point d’information[10]. Olivier Spiesser et Gaëlle Barré ont à nouveau saisi l’Ambassade afin de voir s’il serait possible de repenser la convention franco-italienne, mais pour le moment, personne n’à eu gain de cause.
Mi-décembre 2022, le Quai d’Orsay à fait savoir : « Problème ancien et connu, nous travaillons vers une interprétation convergente des textes, l’adoption du traité du Quirinal devrait permettre un dialogue encore plus fluide »[11]. En Octobre 2023, les services fiscaux italiens continuent à imposer les retraités français pour les années 2016, 2017.
L’article 26 de la convention franco-italienne mentionne la procédure amiable[12]. Des recours auprès du Ministère français et italien ont ainsi été déposés en juillet-août 2023. Les ministères avaient un délai de deux mois pour accuser réception. Le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique de la France français à confirmé que les dossiers sont en cours d’instruction. L’autorité italienne à été informée. Des courriers avec des questionnaires ont été adressés aux 5 personnes concernées, dont les recours couvrent 2015-2016-2017.
Il n’y a plus de conseiller fiscal à l’Ambassade de Rome et les CFdE demandent depuis longtemps le rétablissement de ce service.
Il convient donc de souligner la nécessité de mettre en place :
- Un moratoire fiscal en accord avec les autorités italiennes, sur toutes les procédures en cours compte tenu du surendettement des retraités français dans l’incapacité de payer 8 années de rappel, avec mise à jour de la liste annexée à la lettre du 20 décembre 2000.
- La renégociation de la convention fiscale pour mettre fin à la double imposition, notamment de l’article 18.2.
- Le rétablissement d’un conseiller fiscal à Rome
- Le renouvellement de la doctrine fiscale de la DLF sur les recrutés locaux.
[1] https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/5574-PGP.html/identifiant=BOI-INT-CVB-ITA-10-20120912
[2] https://www.assemblee-afe.fr/IMG/pdf/compte-rendu_-_commssion_des_finances_-_octobre_2018.pdf
[3] https://www.assemblee-afe.fr/l-imposition-des-recrutes-locaux.html
[4] Audition de Jean-Claude CHARLES, Collectif des retraités français d’Italie pour une équité fiscale européenne
[5] https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/3209-PGP.html/identifiant=BOI-ANNX-000341-20130909
[6] https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/3209-PGP.html/identifiant%3DBOI-ANNX-000341-20130909
[7] https://www.assemblee-afe.fr/question-ecrite-au-gouvernement-de-m-alexandre.html
[8] https://www.assemblee-afe.fr/question-ecrite-au-gouvernement-de-m-alexandre.html
[9] https://www.assemblee-afe.fr/convention-fiscale-bilaterale-franco-italienne.html
[10] https://it.ambafrance.org/Fiscalite-11468 et sur notre site nous relayons https://conseillersconsulaires-italie.com/2022/04/19/fiscalite-2/
[11] Réponse faite par la Secrétaire générale du Quai d’Orsay, mi-décembre 2022 au Sénat.
[12] 1. Les autorités fiscales des deux Etats contractants pourront arrêter, de commun accord, les règlements nécessaires à l’exécution des dispositions de la présente Convention. 2. Dans le cas où l’exécution de certaines dispositions de cette Convention donnerait lieu à des difficultés ou à des doutes, les autorités fiscales des deux Etats contractants s’entendront pour interpréter ces dispositions dans l’esprit de la Convention. 3. Si un contribuable de l’un des Etats contractants prouve que les taxations établies ou projetées à sa charge ont entraîné ou doivent entraîner pour lui une double imposition interdite par la Convention il peut, sans préjudice de l’exercice de ses droits de réclamation et de recours dans chaque Etat, adresser aux autorités fiscales de l’Etat où se trouve son domicile une demande écrite de révision desdites taxations. Cette demande doit être présentée dans un délai de six mois à compter de la date de la notification ou de la perception à la source de la seconde imposition. Si elles en reconnaissent le bien-fondé, les autorités fiscales saisies d’une telle demande s’entendront avec les autorités fiscales de l’autre Etat pour éviter la double imposition. 4. S’il apparaît que, pour parvenir à une entente, des pourparlers soient opportuns, ceux-ci seront confiés à une commission mixte formée de représentants des deux Etats désignés par leurs autorités administratives supérieures